Brulhatour

Les puissantes solutions algorithmiques remplaceront, dans un avenir proche, de nombreux métiers et autres savoir-faire qui font aujourd’hui la fierté des secteurs de la radio et l’audio digital. Un futur pas si éloigné qui, assez curieusement, ne constitue pas un sujet de conversation, encore moins un sujet d’inquiétude derrière les consoles. Et pourtant, personne n’y échappera : du programmateur à l’animateur.



Ça coutera moins cher. Ça demandera moins d’efforts. Cela semble correspondre à l’ère du sans effort dans laquelle nous venons d’entrer. Une ère incarnée par l’Homo numericus (1), un consommateur qui veut tout, tout de suite, en faisant le moins d’efforts possibles ou mieux, aucun effort. L’essor des livres audio, avec l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché (2), est symptomatique de la période qui s’ouvre devant nous.  L’ère du sans effort est désormais celle de celui qui se déplace en trottinette électrique, de celui qui prend l’escalator au lieu d’emprunter l’escalier, de celui qui ne descend pas de sa voiture devant son portail électrique, de celui refuse les 500 mètres aller-tour pour chercher son repas et qui préfère être livré manu militari.
Cette ère du sans effort est rendue possible grâce aux développements numériques, technologiques et algorithmiques qui s’accélèrent et ne s’arrêteront pas. Elle aussi est encouragée par de profonds bouleversements sociétaux (3), paradis des canapéistes.

À la radio, y aura-t-il un intérêt à réduire les effectifs ? À entrer dans cette ère du sans effort ? Pourquoi d’ailleurs le ferait-on ? Principalement pour baisser les coûts et, paradoxalement, pour affiner le programme et ainsi gagner en audience.
Ce n’est pas un raisonnement saugrenu que de penser que, parce ce qu’il y aurait moins de salariés dans une radio, il y aurait davantage d’audience. C’est même parfaitement ce qui semble se dessiner grâce à l’émergence de nouvelles solutions numériques parmi lesquelles l’intelligence artificielle. Elle n’a ni les défauts, ni les inconvénients d’un individu. En revanche, elle optimise ses tâches. Les améliore en permanence. Les affute. La course avec l’individu est gagnée d’avance. Une bascule vient d’ailleurs de s’opérer récemment : une intelligence artificielle (4) a été nommée PDG. Comment ont réagi les 3 300 salariés ? À votre avis ? Ils n’ont probablement pas réagi. C’est ça, le plus terrifiant.
Alors, autant envisager notre remplacement progressif et partiel par la machine. Des secteurs entiers sont déjà concernés. Et, ça ne date pas d’hier (5). Il n’y a aucune raison pour que les secteurs de la radio et de l’audio digital y échappent.

Les plus exposés

L’animateur
On sait synthétiser une voix. C’est pas encore très joli mais ça va s’améliorer. Plus encore, on sait faire parler un programme. Prendre une voix naturelle (une vraie voix), et lui faire dire, présenter ou animer un créneau dans un autre flux, à un autre ou au même moment, en assemblant des sons et des syllabes qui sont les siennes, dans d’autres conditions, pendant 5 heures, 6 heures ou 24 heures… C’est tout à fait possible. On pourra choisir son débit, son timbre, son style… Et roule ma poule. Le speech-to-text est déjà très prometteur. Le text-to-speech, c’est le bout du bout. Et c’est demain. Et, je vous pose un billet que l’auditeur ne fera pas la différence.

Le programmateur
C’est probablement celui qui fera partie de la première charrette. Grosso modo, on sait tous comment évolue un titre, de sa naissance à sa mort. Le processus est le même depuis des décennies. Demain, l’intelligence artificielle pourra prendre en compte mille et une données en temps réel, sur mille et un supports et en tirer la substantifique moelle. Le titre pourra ainsi être plus ou moins joué à l’antenne, retiré d’une playlist, intégrer un bloc "Récurrents" ou "Golds", prendre dans la direction du "Frigo" ou du "Congélo". Toutes ces étapes seront conduites, sans intervention humaine, par l’ordinateur lui-même qui élaborera la programmation idéale à condition de lui mettre à sa disposition une base musicale extrêmement qualifiée, base qu’il pourra, à terme, qualifier lui-même…

Le présentateur
Un flash et un journal exigent un travail colossal en amont pour seulement quelques minutes d’antenne. Le choix des infos, la course à l’information, leur réécriture, leur hiérarchie… Tout cela sera engagé par la machine. Aujourd’hui, ce travail demande donc souvent plusieurs heures pour seulement quelques minutes d'antenne. Demain, il nécessitera quelques minutes, voire quelques secondes, pour la même durée qu’aujourd’hui à l’antenne. Pourquoi s’embarrasser d’un présentateur ? Alors, forcément pour les interviews, je vous l’accorde, on peut s’interroger sur la capacité de la machine. Pas sur sa capacité technique mais sur sa capacité à être sensible et créative. Pour autant, avec l’audiométrie portable (et des résultats qui sont déjà disponibles en moins de 24 heures), la machine adaptera le contenu en temps réel.

Le planificateur publicitaire
Ce que l’on a dit au sujet du programmateur musical peut parfaitement s’emboiter à la profession de planificateur publicitaire. Déjà que le métier n’est absolument pas grisant, et surtout répétitif, voilà de quoi régler définitivement le problème. La machine prendra le relai et le prendra beaucoup plus vite et beaucoup mieux que vous. Elle ne commettra pas d’erreur humaine. Elle pourra marteler cette très ancienne maxime latine  : "Errare humanum est, perseverare diabolicum". Le placement des spots dans les écrans via une intelligence artificielle, c’est aussi pour demain. 

Les moins exposés

Le reporter

C’est la clé de voute de la proximité. Un des derniers liens réels avec le terrain. Son rôle va bien au-delà de réaliser des reportages et de ramener du son. Si on le voit, alors on voit la radio. Sur place, il collecte l’information mais, plus encore, prend le pouls de la société, fait remonter des tendances, soigne les relations avec les individus qu’il rencontre. Le reporter est le dernier lien qui vous unit au terrain. Si vous le faites sauter, le lien disparait instantanément.

Le chargé de promotion
Comme le reporter, il est un trait d’union indispensable. Il rapproche ou éloigne les forces vives de votre antenne. Il soigne votre image. La machine l’observe d’un mauvais oeil car le chargé de promotion est doué de deux qualités qu’elle n’a pas encore eu le temps de développer : la créativité et la sensibilité. Ce sont deux notions qu’elle ne comprend pas encore. Parce qu’elles sont souvent bien différentes d’un individu à l’autre…

Le producteur
C’est un chef d’orchestre. Il est rémunéré pour produire des programmes de qualité, j’entends par là des produits qui génèrent de l’audience. Autrement dit, des programmes qui doivent être écoutés par un maximum d’auditeurs (d’ailleurs l’inverse existe-t-il ?). Il utilise les meilleures outils qui sont à sa disposition, fait souvent des choix difficiles et taille parfois dans les effectifs. Il n’y a aucune raison pour qu’il change de fusil d’épaule. Bien au contraire…

Le technicien
S’il doit n’en rester qu’un, ce sera probablement lui, le dernier Jusqu’à ce que la machine puisse se réparer elle-même est la boucle sera bouclée. Pour toujours.

Morale de l’histoire…

La sensibilité des individus, dans un studio ou ailleurs, fait toujours la différence notamment dans les systèmes créatifs. C’est ainsi que l’individu se démarque, certes de moins en moins, de la machine. Mais, l’homme de radio a aussi d’autres qualités, d’autres traits et d’autres vertus. Au-delà de la seule sensibilité qui caractérise un animateur ou un journaliste, il y aussi la sensitivité, l’affectivité (cette aptitude que vous avez à dire "j’aime" ou "je n’aime pas"), la clairvoyance, le ressenti, la finesse, le bon goût, voire l’amabilité…
Tous ces traits de caractère, qui composent l’homme de radio, sont des attributs très subjectifs pour l’algorithme. De facto, la subjectivité ne peut faire et être la machine qui, elle, repose sur un fondement strictement mathématique.
Moralité : soyez créatif et sensible pour ne pas être remplacé !

(1) Homo Numericus  "La civilisation" qui vient de Joël Cohen - Albin Michel
(2) Le Suédois Storytel arrive sur le marché français - La Lettre Pro de la Radio
(3) Portrait du citoyen hyperconnecté en 2019 - Radio-Canada Ohdio
(4) Une femme robot pilotée par une IA devient PDG d'une entreprise - franceinfo
(5) Les luddites se rebellent contre les machines - Herodote
 

Rédigé par Brulhatour le Vendredi 30 Septembre 2022 à 17:42 | Commentaires (1)

Une saison radiophonique très verte

L’été, très chaud, que nous venons de vivre a fait monter les températures tellement haut que la radio a décidé désormais de voir la vie en vert. À Radio France, on prend le tournant environnemental en promettant 40% de réduction du bilan carbone de l’entreprise. L'entreprise veut d’ailleurs accélérer sa transition vers une publicité plus responsable avec la mise en place d’une action radicale : l’exclusion progressive des produits et services les plus polluants ! À NRJ, un auditeur à l’antenne, c’est un arbre planté. À France Médias Monde, on a souscrit un "contrat climat". Même dans les régions, les radios locales multiplient les initiatives originales et intelligentes. À Radio Mont Blanc, on va plus loin avec la création d’un studio mobile autonome en énergie et en diffusion, entièrement équipé. Ce véhicule très "écolo" sera même doté d’un capteur d’air pour accompagner les auditeurs dans la compréhension du sujet de la qualité de l’air…
 
Gageons qu’ici ou là d’autres résolutions audacieuses verront le jour dans les radios. Pas forcément d’ailleurs pour faire montre de sobriété énergétique, ne soyons pas naïfs… La limitation de la température du chauffage ou celle de la climatisation, l’extinction des éclairages jugés désormais non indispensables sont d’abord une opportunité pour se donner bonne conscience, dire qu’on s’attelle à la tâche mais aussi pour, encore et toujours, réaliser des "é-co-no-mies". Si vous travaillez dans une radio, vous avez déjà entendu cette injonction absolument non négociable : "Il faut faire des é-co-no-mies".
 
Si cette saison 2022-2023 s’annonce plus verte que les précédentes, elle pourrait bien être aussi celle des "é-co-no-mies". Personne ne devrait pouvoir y échapper. La situation morose de cette rentrée semble avoir donné le la d’une saison qui devrait être verte, mais grise. On ne peut pas tout avoir.

Rédigé par Brulhatour le Jeudi 8 Septembre 2022 à 16:47 | Commentaires (0)