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Tribune de Frédéric Gérand suite au Paris Radio Show 2024

Rédigé par Frédéric Gérand le Mardi 13 Février 2024 à 16:20 | modifié le Mardi 13 Février 2024 à 16:20



Coup de gueule, déclaration d’amour ou les 2 ? Un manifeste en tous les cas ! Le post Linkedin de Frédéric Gérand qui a suivi son retour du Paris Radio Show a suscité de nombreuses réactions. À l’occasion de le Journée mondiale de la radio, La Lettre Pro de la Radio a demandé à Frédéric Gérand d’étayer ses propos en lui offrant une tribune.


Depuis que je suis rentré du Paris Radio Show,  je suis préoccupé… Je n’arrive pas me sortir de la tête un sentiment amer : à l’écoute de nos confrères - et certainement trop rares consœurs - français, je constate qu’il est urgent de ne rien changer pour que rien ne change. On nous a saupoudré un peu de DAB+ et de podcast par-ci, un peu d’IA par-là, mais sur les contenus, la manière de les adresser au public et la façon de fabriquer la radio aujourd'hui et demain, je n’ai entendu aucune remise en question, ni mise en perspective…

En revanche, j’ai bien entendu qu’on était toujours les meilleurs, les plus beaux, les plus gros (pourtant ce n’est pas parce qu’on est gros qu’on est bon. On est gros parce qu’on est bon) et alors, notamment, que la façon de consommer la musique a été révolutionnée ces 10 dernières années, on ne compte pas faire évoluer la façon de la proposer aux auditeurs à la radio. Non, on préfère au contraire se voiler la face et faire semblant... Personne n'a osé s’avouer et dire - voire crier pour tenter de réveiller ses pairs, que la crise de la demande que nous traversons était AUSSI une crise de l'offre. Je ne peux m'empêcher de penser que les décideurs en place scient la branche sur laquelle ils sont confortablement assis, faisant mine que tout va bien en attendant paisiblement leur retraite, entraînant avec eux toute une industrie dans leur chute aveugle.

Pourtant, la Radio c’est une expérience unique que ni rien ni personne d’autre ne sait offrir ! Bien que la radio soit actuellement confrontée à une concurrence accrue de la part d'autres plateformes audio, il serait erroné de la considérer comme obsolète, morte et enterrée. En réalité, la radio demeure un média robuste avec un potentiel considérable pour l'avenir, à condition qu'elle puisse se renouveler et même tirer parti de ce que certains dans l'industrie considèrent comme des concurrents. En effet, en s'adaptant aux évolutions du marché et en explorant de nouvelles voies de développement, la radio pourrait maintenir sa pertinence et sa force dans le paysage médiatique moderne. 
 
À l'avènement de la télévision, de nombreux observateurs prédisaient la disparition imminente de la radio. Pourtant, celle-ci a su résister, exploitant habilement la renommée des animateurs télévisés pour renforcer son attrait. Avec l'essor de l'internet mobile, certains annonçaient également la fin de la radio, notamment de son écoute en voiture. Avec la montée en puissance des plateformes de streaming musical, certains prédisent que la radio est destinée à être reléguée au musée. Personnellement, je suis d'avis que Spotify est indéniablement remarquable, que c’est même génial, mais je soutiens que la radio offre quelque chose de tout à fait différent : C’est une EXPERIENCE globale, c'est une immersion unique !
 
Ces dernières années, malheureusement, la radio s'est elle-même affaiblie en devenant trop aseptisée, en éliminant toute possibilité de surprise et en se conformant excessivement à des formats prédéfinis. Cette uniformisation l'a privée de la saveur et de la diversité qui la rendent si singulière et précieuse.

Pourtant, la radio conserve sa légitimité : elle incarne le média de l'imagination, de la proximité, de la découverte, du partage, de la connexion, de l'émotion, de l'inattendu, avec des personnalités dedans que l'on a envie de suivre dehors (entendez, en dehors de la radio, sur les réseaux sociaux). Après tout, la radio fut le premier média social, avec des influenceurs à l’intérieur. Elle possède donc de nombreux atouts pour conserver une place privilégiée dans le cœur de nos concitoyens.
Mais pour que la radio garde ou retrouve son attrait auprès du plus grand nombre, nous devons d'abord – nous les professionnels de la radio - apprendre à l'aimer à nouveau, car il est indéniable que nous ne la traitons plus avec le respect qu'elle mérite. Nous la négligeons parfois au profit des sirènes de l'image ou du tout-digital. Cela a pour conséquence de l'affaiblir progressivement. De plus, nous l’habillons avec les mêmes vieilles fringues depuis trop longtemps, alors qu'une nouvelle esthétique et une autre grammaire sont possibles.

Si vous avez des doutes, je vous invite à considérer les quatre piliers essentiels sur lesquels la radio repose. En veillant à leur entretien optimal, la radio continuera à demeurer un média puissant et attractif : la proximité, le contenu, l'accessibilité, la simplicité et l'interactivité.

1 - LA PROXIMITE NE DOIT JAMAIS ETRE LOIN

L’atout numéro 1 de la radio c’est la proximité (et donc commercialement, le ciblage que permet cette proximité). La proximité est le différenciateur le plus puissant face à des acteurs mondiaux.  Ainsi, gardons à l'esprit la nécessité de la proximité lors de la conception de la grille et du développement des programmes. Il est important de noter que la proximité ne se limite pas uniquement à la géographie ; elle englobe également les aspects socioprofessionnels, culturels, temporels et affectifs. Par conséquent, privilégions le direct, l'interactivité, la mise en avant des talents locaux et la promotion des événements locaux. Ces éléments, pour l'instant du moins, sont des défis difficiles à relever pour nos concurrents internationaux.
 La proximité se manifeste également à travers l'authenticité des personnalités qui incarnent les voix de la radio. Inspirons-nous des influenceurs des médias sociaux et mettons en avant des personnalités authentiques, dotées d’un storytelling fort, empreintes d'empathie et animées par une passion à partager. N'hésitons pas à recruter des individus qui n'ont jamais exercé dans le domaine de la radio et à les former. On ne peut enseigner à quelqu'un à avoir de la personnalité, on peut en revanche lui enseigner l'art de faire de la bonne radio !

2 - COMPTONS SUR LE CONTENU

Déjà en 2016, l’institut Music Watch concluait une de ces études par ces mots : "les playlists sont la nouvelle radio". Pour moi, la radio de demain est une radio qui ne craint pas le contenu, même sur les radios dites musicales.  
Cela nous amène naturellement au deuxième atout majeur de la radio. Ce n'était peut-être pas le cas il y a 20 ou 30 ans, mais aujourd'hui, l'avenir de la radio réside dans la qualité et la diversité de son contenu.
Tout en respectant le format de sa station, concentrons-nous pleinement sur le contenu ! Car le contenu, ce n'est pas simplement ouvrir un micro et parler. C'est fournir des informations qui impliquent activement l'auditeur dans son écoute. Un contenu de qualité réussit à provoquer quelque chose chez l'auditeur : un sourire, un rire, une réflexion, un apprentissage, une émotion positive.
Et mieux vaut un bon disque qu’un mauvais speak, donc évitons les interventions médiocres : vides de sens, maladroites. Le contenu doit donner à celui qui le reçoit le sentiment de ne pas être seul ; il crée un lien et fait ressentir à l'auditeur qu'il fait partie d'une communauté, qu'il s'agisse d'un pays, d'une région, d'une génération ou d'un groupe partageant des valeurs communes. C'est pourquoi un média ne doit pas craindre d'affirmer ses valeurs.

En ce qui concerne la musique, la radio doit retrouver son rôle de curateur, prescripteur, et facilitateur de découvertes, tout en étant un vecteur de plaisir. Plutôt que de gaspiller notre temps et notre énergie à empêcher l'utilisation de Spotify, adoptons une approche intelligente en offrant une sélection prescriptive qui guide les auditeurs à travers les vastes bibliothèques de millions de chansons. Ils nous en seront reconnaissants et reviendront nous écouter parce que nous avons été leurs guides musicaux.
Spotify et les plateformes de streaming sont les nouveaux juke-boxes. Il est entre nos mains que les auditeurs nous utilisent pour découvrir de la musique et utilisent ces plateformes pour écouter la musique qu'ils ont d'abord découverte et appréciée à la radio !

3 - KISS (= KEEP IT STUPID SIMPLE)

Le troisième avantage majeur de la radio réside dans son accessibilité, un point sur lequel nous devons insister sans relâche. L'accessibilité est synonyme de simplicité et de gratuité. Dans un monde ultra-technologique où les coûts s'envolent pour tous les services, de l'internet aux plateformes, la radio conserve une position solide. Je suis convaincu que dans le futur, le mot-clé sera "simplicité", et que la recherche de simplification technologique deviendra un objectif primordial pour nous tous.
 On le voit, on le sent que la tentation de la déconnexion gagne du terrain dans notre société actuelle. Même parmi les jeunes, il est parfois ressenti une fatigue vis-à-vis de l'utilisation permanente du smartphone pour tout. C'est là une opportunité précieuse pour la radio, média accessible par excellence.
La radio offre une plateforme unique regroupant tout ce que nous recherchons souvent à travers plusieurs applications différentes : des informations variées, de l'interactivité, du lien social, de la musique, une diversité de contenus, et bien plus encore. Plus besoin de scroller, tout peut être trouvé sur une radio (à condition que ceux qui la font soit en mesure de comprendre de manière très fine ce que leur auditoire veut entendre…). La radio représente l'agrégateur ultime de nos besoins, avec en prime le meilleur des algorithmes pour la programmer : l'humain !
Dans ce monde dématérialisé, technologique et souvent dépourvu d'humanité qui est le nôtre, je reste sceptique quant au potentiel des robots à transmettre des émotions, ou à devenir des partenaires dans des interactions jusqu'ici réservées aux humains.
L'humanité, la simplicité et la gratuité joueront également un rôle crucial dans le salut de la radio, en complément de la proximité et du contenu.

4 - SYNCHRONICITE ET INTERACTIVITE COMME LEVIERS D’AUDIENCE

L'écoute de podcasts ou de playlists musicales peut certes être passionnante voire émouvante, mais elle conserve un caractère passif et souvent solitaire. Un avantage fondamental de la radio réside dans sa synchronicité : ceux qui la produisent sont présents aux côtés de ceux qui l'écoutent.
L'interactivité offerte par la radio linéaire est véritablement unique. Elle permet de jouer, de participer à des débats, d'engager des dialogues avec d'autres auditeurs. Les moyens pour y parvenir évoluent, passant du traditionnel téléphone à des applications telles que WhatsApp, voire les réseaux sociaux.

Offrir aux auditeurs la possibilité de voter en ligne, de manière simple, pour ou contre un titre, ou de réaliser des sondages d'opinion en direct via des applications, leur confère un rôle actif dans leur écoute. Désormais, il est même possible de donner aux auditeurs les clés de la programmation musicale à certains moments de la journée via une application contrôlant le logiciel de programmation !

Les dangers qui guettent la radio

Ce qui pourrait finalement éteindre la radio, c'est ironiquement ce qui la maintient en vie : la publicité. Surtout les annonces non pertinentes, diffusées de manière excessive et répétitive, donnant à l'auditeur l'impression d'être un oie qu'on gave.
Pour sauver la radio, soyons optimistes : un ciblage publicitaire plus précis est nécessaire, avec des annonces spécifiquement adaptées à mes intérêts et présentées de manière plus pertinente (formats plus courts, plus dynamiques, incitant à une action concrète et non envahissantes). La technologie doit être mise au service du commerce.
Un autre danger pour la radio est la standardisation et le phénomène de copier-coller que l'on observe en passant d'une station musicale à une autre. Ce qui sauvera la radio dans son ensemble, c'est de proposer une diversité d'offres, des produits clairement identifiés, distinctifs et surtout, percutants.

Le troisième et ultime défi auquel fait face la radio est la médiocrité. Il est crucial de préciser que médiocre ne signifie pas nécessairement mauvais, mais plutôt moyen, peu significatif, ne méritant pas une attention particulière.
 Parmi les périls qui guettent la radio dont certains ont été évoqués ici, le plus grand danger ne vient pourtant pas de l’extérieur mais de l’intérieur du média lui-même. Ce qui mettra la radio par terre, si l'on n’y prend pas garde, c’est le manque d’audace et de remise en question.  Le manque de créativité aussi. 
 
Ma boucle est ainsi bouclée.

Lors d'un récent séminaire organisé pour le management de la RTBF, le philosophe Luc de Brabandère est intervenu pour partager sa vision de l'innovation et de la créativité. En synthèse, voici quels étaient ses propos :
"La créativité n'est pas un chemin facile, elle impose de voir autrement, d'oser casser la règle pour poser une nouvelle hypothèse au monde que l'on connait. Tout changement demande de changer deux fois, la réalité et la perception. Et l'innovation n'est autre que notre capacité d'envisager les choses autrement, de changer notre perception des choses."
La posture des médias – et de ceux qui les dirigent - doit être celle de la résistance, non pas au changement mais à tout ce qui réduit ou anéantit l'émotion.
La radio a tant d’émotions à offrir. Osons le changement ! Vive la Radio, vive l'Audio !
 



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