
Pierre Bellanger, président-fondateur de Skyrock, prononçant son discours au Paris Radio Show 2025, où il a partagé sa vision sur l’avenir de la radio à l’ère du numérique.
Bonjour à tous,
Bon, on est entre nous, on va se dire les choses, on ne va pas se le cacher, c’est foutu. Les gens nous quittent, les jeunes sont partis. On ne peut pas lutter. Ils font n’importe quoi. Ils pètent le système. Ils n’ont pas les mêmes règles que nous. Ils n’ont pas de règles du tout. Ils ont inventé de nouvelles formes de pub et se goinfrent. Tout commence avec eux, on ne fait que suivre. Il n’y en a que pour eux. Il nous reste les vieux et puis plus rien. Alors on va crever. De quoi est-ce que je parle là ? De la radio, bien sûr ! Mais de quelle radio ?
Je parle de la radio des années 30, de la radio des années 60, de la FM des années 70, 80 et suivantes… Je parle de ce que nous avons fait aux autres médias, au système, en ces temps-là.
La radio des années 30 annonce les nouvelles avant que les journaux ne soient imprimés ! C’est la fin de la Presse ! La radio des années 30 diffuse des concerts sans qu’il soit besoin de se déplacer, c’est la fin des concerts ; la radio diffuse gratuitement de la musique enregistrée, c’est la fin des orchestres, c’est la fin de la musique ! Et les annonceurs se précipitent ! La voix d’un présentateur est bien plus captivante qu’une réclame sur papier.
La radio des années 60 ! Ah, c’est terrible, les jeunes sont fous ! Hallucinés, drogués avec cette musique perverse, dangereuse, ils l’écoutent toute la journée avec ces nouveaux appareils dont ils ne séparent jamais, ils dorment avec ! Les transistors ! Puis la FM, d’abord en Amérique, puis en Italie, puis en France ! Là, c’est fini, tout le monde a la parole ; tout le monde écoute tout le monde ; chacun ouvre sa gueule. Et cette liberté prise ! C’est le danger !
Et toutes ces musiques de partout, des banlieues, des Amériques, et cette vulgarité ! Vous entendez comment ils parlent ? Vous comprenez ce qu’ils disent ? Ça, c’est nous, c’est vous, ce sont nos radios. Du village à la capitale, on a changé nos vies, celles de nos auditeurs, on a changé le monde ! Et voilà qu’il nous arrive un nouveau monde ! On rêvait de liberté, la voilà, alors certains ont eu peur et n’en voulaient plus.
Rappelons quand même, le monde que nous sommes en train de quitter. On fait de la radio parce qu’on aime les gens, nos publics, tous si différents et qui nous font l’honneur et la joie de nous écouter. Mais pour atteindre cette simplicité, que d’acrobaties, de règlements, de contraintes ! Comment expliquer demain que certaines des radios les plus populaires sont interdites d’écoute dans des villes, et cela par les décisions d’une commission ? Non, ma fille, ce n’était pas au Moyen Âge ; oui, mon fils, il y avait déjà Internet…
Internet justement. Nous étions dans un aquarium avec toujours les mêmes. Tout changeait autour de nous. Mais pas nous, telle une famille immortelle, on continuait à se batailler entre nous pour quelques points d’audience, qui sont tant d’efforts et qui valent tant d’or ! Et voilà que l’aquarium est plongé dans l’océan du réseau. Et c’est le drame ! Nous étions les gagnants de la pénurie ; serions-nous donc destinés à être les perdants de l’abondance ?
Les jeux vidéo, les consoles, les Web, 1, 2, 3, les MP3, le streaming, les réseaux sociaux, les plateformes, les mobiles, le Wi-Fi, le Bluetooth, les écouteurs, la blockchain, les NFT, les podcasts et maintenant l’IA… N’en jetez plus !
Il n’y a que le DAB pour nous rassurer : des dossiers de candidature, des fréquences en petit nombre et pour finir des récepteurs rien que pour ça. C’est le numérique comme si rien n’avait changé. Ah si, quand même, c’est mieux en voiture. Quant à nous, nous sommes face à l’illimité, à la métamorphose, à l’inconnu. Comme faire autrement que le hérisson dans les phares ? Tel est notre défi commun. C’est celui des radios, comme celui de la société, comme celui du monde entier. Le maréchal Foch, dans son enseignement à l’École de Guerre, invitait toujours ses élèves militaires à se poser en premier la question suivante : "De quoi s’agit-il ?". Il faut d’abord poser clairement le problème avant de chercher des solutions. Qu’est-ce que l’Internet ? L’Internet est une automatisation de la distribution de l’information. C’est donc une question de distribution.
La radio, quant à elle, est une présence sonore au présent, un accompagnement vivant de nos vies. Ce besoin de compagnie sonore avec sa musique, ses informations, ses divertissements, ses partages, ses rires, ses émotions, ses réflexions, est-il remis en cause ? Non. Pourquoi ?
Parce qu’en concurrence avec l’infini d’Internet, un petit millier de programmes sont écoutés tous les jours par plus de deux tiers de la population, écoutés par plus de la moitié de la nouvelle génération, cette première génération grandie avec le réseau. Écoutés tous les jours ! Et l’Internet
grand public est là depuis trente ans. Oui, ça a baissé depuis le temps où nous étions tous seuls. Mais, si nous n’étions pas uniques, utiles, indispensables, nous aurions disparu depuis longtemps ! Alors que la télévision passe du flux à la consommation à la carte bouleversant son modèle ; pour l’audio, le flux est le favori du public. Et le flux vivant c’est la radio.
Et le son est partout, chaque mobile est audio et donc radio. Et trois quarts de la population disposent de casques audio ou d’écouteurs pour nous écouter partout. Oui, nous sommes là, vivants et battants ! Vivants et le cœur battant ! Alors quel est le problème ?
Il est dans notre compréhension de nous-mêmes. Un exemple souvent donné est celui des chemins de fer américains au début de l’aviation, c’est-à-dire au commencement du siècle dernier. Ces entreprises se considéraient comme des entreprises de chemin de fer. Si elles s’étaient comprises comme des entreprises de transport, elles seraient aujourd’hui parmi les premières compagnies aériennes au monde.
Quant à nous, nous ne sommes pas nos émetteurs, nos fréquences ; nous ne sommes pas notre système de distribution, nous sommes une relation humaine à distance avec chacun en multitude. L’océan numérique n’est pas l’adversaire de notre aquarium analogique initial. C’est, au contraire, un amplificateur d’une puissance que nous ne pouvions même pas concevoir.
Oui la bataille est asymétrique, d’un côté des entreprises mondiales aux fonds illimités, s’automesurant, inventant des comptages invérifiables en leur faveur. Des entreprises qui répondent de leurs règles, qui nous soumettent aux leurs, et tout cela en propulsant des services exceptionnels. Mais il ne faut pas s’imaginer lutter contre, il faut au contraire, pour reprendre la métaphore chinoise, chevaucher le tigre. C’est ainsi que les radios se sont emparées de ces outils pour les utiliser à fond.
Une radio que je connais bien à plus de contacts aujourd’hui avec la nouvelle génération, en croisant radio et réseau, qu’à l’âge révolu où le transistor était caché sous l’oreiller. Jamais le monde n’a été si grand, jamais nous n’avons eu autant de chance. L’automatisation de la distribution démultiplie nos forces uniques et le génie de nos équipes.
Et pour nos amis les annonceurs, les argumentaires de nos régies le répètent avec preuves à l’appui, le retour sur investissement de la radio est magique. Il l’est et le sera plus encore, car nos radios se sont ouvertes en gammes de variations, sont devenues multidimensionnelles, imagées, en écho et en rebond par l’effet réseau. Et par le réseau, tous nos contacts IP seront un jour adressables. Nous sommes la puissance du média conjuguée à la finesse du réseau. D’ailleurs, il n’y a pas de médias traditionnels, c’est une blague, il y a des mutants redoutables forts de leur histoire. Et la radio en mouvement est le moteur audio de notre époque.
Je finis sur une note historique, à la fin du XVe siècle, les explorations maritimes remettent en cause le monopole de Venise sur les routes commerciales reliant l’Europe à l’Asie. Certes, Venise est enclavée dans l’Adriatique, certes elle se doit de se prémunir de la menace ottomane, mais elle peut, par sa puissance et ses alliances, tenter l’océan. Elle y renonce et entame son déclin. L’Espagne, quant à elle, choisit de se lancer sur les mers inconnues. L’Espagne, et donc Cadix, prendra ainsi le relais pour quelques siècles suivants.
Amis de la radio, nous le montrons à tous, nous ne sommes pas Venise, nous sommes Cadix ! Cadix à la puissance infinie du réseau. Nous sommes au début d’un nouveau début. C’est un moment extraordinaire. Et tant d’entre nous y réussissent déjà ! Le futur c’est nous !
Je vous remercie.
Bon, on est entre nous, on va se dire les choses, on ne va pas se le cacher, c’est foutu. Les gens nous quittent, les jeunes sont partis. On ne peut pas lutter. Ils font n’importe quoi. Ils pètent le système. Ils n’ont pas les mêmes règles que nous. Ils n’ont pas de règles du tout. Ils ont inventé de nouvelles formes de pub et se goinfrent. Tout commence avec eux, on ne fait que suivre. Il n’y en a que pour eux. Il nous reste les vieux et puis plus rien. Alors on va crever. De quoi est-ce que je parle là ? De la radio, bien sûr ! Mais de quelle radio ?
Je parle de la radio des années 30, de la radio des années 60, de la FM des années 70, 80 et suivantes… Je parle de ce que nous avons fait aux autres médias, au système, en ces temps-là.
La radio des années 30 annonce les nouvelles avant que les journaux ne soient imprimés ! C’est la fin de la Presse ! La radio des années 30 diffuse des concerts sans qu’il soit besoin de se déplacer, c’est la fin des concerts ; la radio diffuse gratuitement de la musique enregistrée, c’est la fin des orchestres, c’est la fin de la musique ! Et les annonceurs se précipitent ! La voix d’un présentateur est bien plus captivante qu’une réclame sur papier.
La radio des années 60 ! Ah, c’est terrible, les jeunes sont fous ! Hallucinés, drogués avec cette musique perverse, dangereuse, ils l’écoutent toute la journée avec ces nouveaux appareils dont ils ne séparent jamais, ils dorment avec ! Les transistors ! Puis la FM, d’abord en Amérique, puis en Italie, puis en France ! Là, c’est fini, tout le monde a la parole ; tout le monde écoute tout le monde ; chacun ouvre sa gueule. Et cette liberté prise ! C’est le danger !
Et toutes ces musiques de partout, des banlieues, des Amériques, et cette vulgarité ! Vous entendez comment ils parlent ? Vous comprenez ce qu’ils disent ? Ça, c’est nous, c’est vous, ce sont nos radios. Du village à la capitale, on a changé nos vies, celles de nos auditeurs, on a changé le monde ! Et voilà qu’il nous arrive un nouveau monde ! On rêvait de liberté, la voilà, alors certains ont eu peur et n’en voulaient plus.
Rappelons quand même, le monde que nous sommes en train de quitter. On fait de la radio parce qu’on aime les gens, nos publics, tous si différents et qui nous font l’honneur et la joie de nous écouter. Mais pour atteindre cette simplicité, que d’acrobaties, de règlements, de contraintes ! Comment expliquer demain que certaines des radios les plus populaires sont interdites d’écoute dans des villes, et cela par les décisions d’une commission ? Non, ma fille, ce n’était pas au Moyen Âge ; oui, mon fils, il y avait déjà Internet…
Internet justement. Nous étions dans un aquarium avec toujours les mêmes. Tout changeait autour de nous. Mais pas nous, telle une famille immortelle, on continuait à se batailler entre nous pour quelques points d’audience, qui sont tant d’efforts et qui valent tant d’or ! Et voilà que l’aquarium est plongé dans l’océan du réseau. Et c’est le drame ! Nous étions les gagnants de la pénurie ; serions-nous donc destinés à être les perdants de l’abondance ?
Les jeux vidéo, les consoles, les Web, 1, 2, 3, les MP3, le streaming, les réseaux sociaux, les plateformes, les mobiles, le Wi-Fi, le Bluetooth, les écouteurs, la blockchain, les NFT, les podcasts et maintenant l’IA… N’en jetez plus !
Il n’y a que le DAB pour nous rassurer : des dossiers de candidature, des fréquences en petit nombre et pour finir des récepteurs rien que pour ça. C’est le numérique comme si rien n’avait changé. Ah si, quand même, c’est mieux en voiture. Quant à nous, nous sommes face à l’illimité, à la métamorphose, à l’inconnu. Comme faire autrement que le hérisson dans les phares ? Tel est notre défi commun. C’est celui des radios, comme celui de la société, comme celui du monde entier. Le maréchal Foch, dans son enseignement à l’École de Guerre, invitait toujours ses élèves militaires à se poser en premier la question suivante : "De quoi s’agit-il ?". Il faut d’abord poser clairement le problème avant de chercher des solutions. Qu’est-ce que l’Internet ? L’Internet est une automatisation de la distribution de l’information. C’est donc une question de distribution.
La radio, quant à elle, est une présence sonore au présent, un accompagnement vivant de nos vies. Ce besoin de compagnie sonore avec sa musique, ses informations, ses divertissements, ses partages, ses rires, ses émotions, ses réflexions, est-il remis en cause ? Non. Pourquoi ?
Parce qu’en concurrence avec l’infini d’Internet, un petit millier de programmes sont écoutés tous les jours par plus de deux tiers de la population, écoutés par plus de la moitié de la nouvelle génération, cette première génération grandie avec le réseau. Écoutés tous les jours ! Et l’Internet
grand public est là depuis trente ans. Oui, ça a baissé depuis le temps où nous étions tous seuls. Mais, si nous n’étions pas uniques, utiles, indispensables, nous aurions disparu depuis longtemps ! Alors que la télévision passe du flux à la consommation à la carte bouleversant son modèle ; pour l’audio, le flux est le favori du public. Et le flux vivant c’est la radio.
Et le son est partout, chaque mobile est audio et donc radio. Et trois quarts de la population disposent de casques audio ou d’écouteurs pour nous écouter partout. Oui, nous sommes là, vivants et battants ! Vivants et le cœur battant ! Alors quel est le problème ?
Il est dans notre compréhension de nous-mêmes. Un exemple souvent donné est celui des chemins de fer américains au début de l’aviation, c’est-à-dire au commencement du siècle dernier. Ces entreprises se considéraient comme des entreprises de chemin de fer. Si elles s’étaient comprises comme des entreprises de transport, elles seraient aujourd’hui parmi les premières compagnies aériennes au monde.
Quant à nous, nous ne sommes pas nos émetteurs, nos fréquences ; nous ne sommes pas notre système de distribution, nous sommes une relation humaine à distance avec chacun en multitude. L’océan numérique n’est pas l’adversaire de notre aquarium analogique initial. C’est, au contraire, un amplificateur d’une puissance que nous ne pouvions même pas concevoir.
Oui la bataille est asymétrique, d’un côté des entreprises mondiales aux fonds illimités, s’automesurant, inventant des comptages invérifiables en leur faveur. Des entreprises qui répondent de leurs règles, qui nous soumettent aux leurs, et tout cela en propulsant des services exceptionnels. Mais il ne faut pas s’imaginer lutter contre, il faut au contraire, pour reprendre la métaphore chinoise, chevaucher le tigre. C’est ainsi que les radios se sont emparées de ces outils pour les utiliser à fond.
Une radio que je connais bien à plus de contacts aujourd’hui avec la nouvelle génération, en croisant radio et réseau, qu’à l’âge révolu où le transistor était caché sous l’oreiller. Jamais le monde n’a été si grand, jamais nous n’avons eu autant de chance. L’automatisation de la distribution démultiplie nos forces uniques et le génie de nos équipes.
Et pour nos amis les annonceurs, les argumentaires de nos régies le répètent avec preuves à l’appui, le retour sur investissement de la radio est magique. Il l’est et le sera plus encore, car nos radios se sont ouvertes en gammes de variations, sont devenues multidimensionnelles, imagées, en écho et en rebond par l’effet réseau. Et par le réseau, tous nos contacts IP seront un jour adressables. Nous sommes la puissance du média conjuguée à la finesse du réseau. D’ailleurs, il n’y a pas de médias traditionnels, c’est une blague, il y a des mutants redoutables forts de leur histoire. Et la radio en mouvement est le moteur audio de notre époque.
Je finis sur une note historique, à la fin du XVe siècle, les explorations maritimes remettent en cause le monopole de Venise sur les routes commerciales reliant l’Europe à l’Asie. Certes, Venise est enclavée dans l’Adriatique, certes elle se doit de se prémunir de la menace ottomane, mais elle peut, par sa puissance et ses alliances, tenter l’océan. Elle y renonce et entame son déclin. L’Espagne, quant à elle, choisit de se lancer sur les mers inconnues. L’Espagne, et donc Cadix, prendra ainsi le relais pour quelques siècles suivants.
Amis de la radio, nous le montrons à tous, nous ne sommes pas Venise, nous sommes Cadix ! Cadix à la puissance infinie du réseau. Nous sommes au début d’un nouveau début. C’est un moment extraordinaire. Et tant d’entre nous y réussissent déjà ! Le futur c’est nous !
Je vous remercie.
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S’appuyant sur sa riche expérience, il a partagé des pistes concrètes pour permettre à la radio de rester un média puissant et influent dans un environnement en constante transformation.
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